R. Zaugg: Stranieri di antico regime

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Titel
Stranieri di antico regime. Mercanti, giudici e consoli nella Napoli del Settecento


Autor(en)
Zaugg, Roberto
Erschienen
Rome 2011: Viella
Anzahl Seiten
334 S.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Christopher Denis-Delacour

Si les Etats contemporains distinguent nettement le citoyen de l’étranger, avec les droits et les références institutionnelles qu’une telle opération de classification implique, certaines conditions d’Ancien Régime affaiblissent ces notions au profit d’une négociation autour des statuts1. L’ouvrage de Roberto Zaugg, issu d’une thèse de doctorat, propose une analyse des modalités de définition du statut des étrangers à Naples au XVIIIe siècle à partir de l’espace institutionnel propre à la «litigation» marchande. Le choix du cadre temporel et spatial, tout comme l’objet d’analyse, n’a rien d’anodin. A partir de 1734 la reconquête des ‘Bourbons’ s’accompagne d’une réorganisation visant, entre autres, à redonner au gouvernement certaines prérogatives juridiques en matière de gestion du commerce. Alors que le territoire reste juridiquement morcelé, avec par exemple la présence de Tribunaux féodaux, se superpose une redéfinition ‘mercantiliste’ de l’espace Institutionnel mettant le statut des étrangers au coeur d’enjeux économiques et étatiques diffus. De fortes tensions juridictionnelles se propagent alors sur plusieurs niveaux de pouvoir.

A partir des notions d’extraterritorialité et de médiation interétatique, notamment diplomatique et consulaire, l’auteur nous permet d’abord d’apprécier la «différentialité» de la gestion juridique du commerce. Loin d’être uniforme, la fonction consulaire témoigne par exemple à la fois des intérêts de l’Etat représenté et de ceux consuls qui cherchent à conserver leurs prérogatives locales. L’interprétation de l’action consulaire se complique toutefois lorsque l’on se penche sur la capacité des justiciables à faire pression sur leurs représentants: les marchands pouvaient par exemple investir la donnée consulaire et s’assurer un levier favorable lors des tractations juridiques. En jouant sur la perméabilité des statuts entre sudditi napoletani (nationaux) et stranieri (étrangers), ils pouvaient également diversifier leur intermédiation juridique en contournant le cadre diplomatique normalement dévolu. Les travaux de Roberto Zaugg restituent ainsi l’action du consul comme dépendante des contextes et des acteurs, pouvant favoriser tantôt les institutions locales où la prérogative ‘extraterritoriale’. Si l’auteur démontre sur ce point la nécessité d’une analyse micro-historique permettant la reconstitution de parcours jusqu’à en extraire la personnalité socioéconomique des agents, il la place au sein des stratégies socioéconomiques qui peuvent s’avérer être transversales au-delà des aspects nationaux et confessionnels.

Roberto Zaugg souligne pourtant certaines spécificités napolitaines quant à l’intermédiation juridique: la présence de ‘juges-délégués’ dont le statut est hérité des constructions juridiques ‘espagnoles’ du XVIIe siècle. Issue de processus cumulatifs et particuliers à chaque nation, la fonction de ‘délégué’ visait à représenter les intérêts des groupes marchands étrangers par l’intermédiaire d’un magistrat exerçant au sein des plus importantes institutions juridiques. Obligatoirement napolitain et choisi par le gouvernement, le délégué était cependant rétribué par la nation qu’il représentait et les marchands ne manquaient pas de participer à sa nomination dans le but de bénéficier d’une justice favorable et rapide, au mieux de leurs intérêts. En y associant la ‘nébuleuse’ de l’action consulaire, le règlement des litiges est ainsi loin d’être exempt de pressions extérieures, qu’elles proviennent d’acteurs situés à la base ou au sommet de la structure institutionnelle.

Le fonctionnement du Supremo Magistrato di Commercio illustre ces processus. L’analyse de l’institution créée en 1739 représente à ce titre le coeur des travaux de Roberto Zaugg. En tant que Cour d’appel pour les litiges concernant tout le commerce du territoire, et devant symboliser l’expression d’une justice rapide à faible coût, l’institution concrétise cependant le caractère incertain des réformes initiées. L’auteur s’appuie à la fois sur divers fonds diplomatiques qu’il croise avec une source inédite, les Processi (procès) du tribunal. Remarquablement mis en perspective, ces documents restituent les différents cadres de négociation autour des procédures et témoignent combien les conflits juridiques représentent le moment où se définissent les modalités de l’application du droit. Il s’agit alors d’une opération de sélection et d’interprétation de plusieurs fonds juridiques susceptible d’être conditionnée par des pressions extérieures, à partir de l’équilibre fluctuant entre le jeu des acteurs institutionnels, politiques et économiques. Cette fine analyse du tribunal permet également de mieux caractériser le fait institutionnel. Roberto Zaugg démontre que les institutions économiques sont loin de s’apparenter à des règles déterminées politiquement et imposées verticalement aux agents économiques par les structures politiques. Les institutions se révèlent plutôt depuis leurs périphéries socioéconomiques, tout en prenant en compte les statuts et les règles, et notamment à partir des relations de pouvoir régissant les rapports entre chacun des acteurs. Ce cadre d’interprétation s’applique aussi aux processus de transformation institutionnelle. La réforme ‘politique’ du Supremo Magistrato di Commercio en 1746, ne laissant au tribunal que la juridiction d’appel concernant le commerce extérieur, l’illustre parfaitement. L’institution se modifia pour ‘survivre’ en faisant interagir l’ensemble des acteurs consubstantiels à son fonctionnement: magistrats, leviers politiques et marchands étrangers. La fonction de délégué se vida alors progressivement de sa substance, jusqu’à disparaître au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, tandis que le tribunal devint une référence institutionnelle favorable aux marchands étrangers. On passe alors de ‘la nature des choses’ (le commerce) au statut des personnes à partir d’une concession sur l’extraterritorialité rendue possible par une compensation institutionnelle et donc l’assentiment des acteurs. Cette personnification du tribunal, loin d’être inamovible, fut certes redéfinie par les processus classificatoires induits par la Révolution, mais sans totalement gommer la marge d’indéfinition des ‘étrangers’

Au total, on pourra regretter que les connexions du tribunal au-delà-du cadre institutionnel napolitain, notamment au niveau du commerce maritime et de la réciprocité juridique interétatique qu’il met en discussion, soient absentes de l’analyse. Le devenir de l’institution après la période révolutionnaire interroge également même si nous sortons ici du cadre temporel choisi par l’auteur. Toutefois, si la lecture de l’ouvrage de Roberto Zaugg soulève naturellement quelques questionnements, il s’agit là d’une curiosité scientifique découlant de travaux conséquents et qui constituent assurément une clef de lecture essentielle de la présence étrangère et des identités du long XVIIIe siècle.

1 Entre autres Simona Cerutti, Etrangers. Etude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Montrouge, Bayard, 2012.

Zitierweise:
Christopher Denis-Delacour: Rezension zu: Roberto Zaugg: Stranieri di antico regime – Mercanti, giudici e consoli nella Napoli del Settecento. Rome, Viella, 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 2, 2013, S.314- 316.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 2, 2013, S.314- 316.

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